Une journée avec les artisans qui habillent les chevaux

A l’occasion des 41e Journées du Patrimoine les 21 et 22 septembre 2024, le Campus Versailles a ouvert les portes de la Grande Écurie pour mettre en lumière les savoir-faire liés à l’art équestre. De la précision du ferronnier à l’habileté du sellier en passant par la puissance de la forge, chaque rencontre a révélé une expertise rare, transmise de génération en génération.
Nous voici devant les grilles de la Grande Écurie de Versailles. En entrant, un immense cheval en métal se dresse devant nous. Imposant et majestueux, il nous plonge immédiatement dans le monde de l’art équestre, thème évoqué par le Campus Versailles pour mettre à l’honneur l’artisanat d’excellence. Durant deux jours, plusieurs artisans : ferronnière, bottière, sellier-harnacheur, tapissier, forgeron et tailleur de pierre… sont venus de toute la France partager au grand public leur talent mais aussi l’histoire profonde de leur discipline. Chaque objet, qu’il s’agisse d’un fer à cheval, d’une botte ou d’une selle, est l’aboutissement de nombreuses années d’apprentissage et de perfectionnement.
La visite commence avec Clara Ferreira, qui accueille chaleureusement les visiteurs auprès de son stand. Ferronnière au sein de l’atelier Mesa dans les Yvelines, cette “dame de fer” autodidacte a repris en 2020 un atelier familial fondé en 1983. Crayon à la main, elle dessine le futur garde-corps qui ornera la maison d’un particulier. “Ce que j’aime, c’est la dimension artistique de ce métier malgré son aspect très physique. Pour ce garde-corps, je tente d’intégrer le blason familial retrouvé par les propriétaires. C’est un challenge à la fois technique et artistique”, raconte-t-elle, à côté d’un impressionnant cheval de métal forgé à froid par son atelier.
A côté d’elle, Sophie, 20 ans, tablier noué à la taille, peaufine la découpe d’une semelle de chaussure destinée aux grandes maisons de couture. Au milieu des odeurs de cuir, l’étudiante en cordonnerie à l’UFA EREA Jean Monnet de Garches partage avec le grand public ce désir de travailler avec ses mains. “J’ai su très tôt que je souhaitais faire un métier manuel et je n’avais pas envie de faire un parcours académique traditionnel.” Encore trop souvent perçues par les parents comme des options de second choix, les filières professionnelles attirent pourtant de plus en plus les jeunes mais aussi les adultes en désir de reconversion. Un tournant constaté par l’une des professeurs de Sophie, venue témoigner avec sa jeune apprentie.
Plus loin, c’est l’odeur du crin de cheval qui aiguise la curiosité. Derrière les tissus miroitants et les visiteurs curieux se devine la silhouette de Jérôme Lebouc, responsable de l’atelier de tapisserie du château de Versailles. Sourire aux lèvres, il présente sa machine étonnante : une cardeuse du XIXe siècle qui servait à aérer le crin pour le garnissage des fauteuils. “J’ai commencé à 16 ans et j’en ai 50 aujourd’hui”, dit-il à la fois fier et ému. Une passion qui n’a pas laissé le public indifférent comme en témoignent les nombreux visiteurs charmés par ses explications.
Par sa résistance et sa souplesse, le crin est un matériau qui offre de multiples possibilités. Charlotte Thomas, artiste textile, s’en est emparé pour réaliser des œuvres d’art aux formes organiques d’une finesse incroyable. On la rencontre dans la salle suivante, entourée de visiteurs captivés et d’enfants intrigués. “On devine toute la passion quand vous en parlez”, l’interpelle un visiteur alors qu’elle présente l’une de ses œuvres phares inspirée des cernes d’un arbre.
La passion, voilà un mot qui revient comme un fil rouge tout au long de la visite. Une passion transmise par tous ces artisans — aussi bien professeurs qu’élèves — mais aussi ressentie pour les visiteurs qui découvrent, subjugués, les secrets de ces métiers d’excellence. C’est au milieu de ce dédale de salles que l’on rencontre Grégoire et Nathalie. Tous les deux ingénieurs, ils ont grandi loin du monde de l’artisanat et pourtant, ils posent un regard d’admiration sur ces métiers dont ils devinent la richesse. “J’ai toujours apprécié les métiers d’art, notamment tout ce qui est lié à la ferronnerie”, précise Grégoire.
Au fil de ce parcours, les artisans nous rappellent une dimension essentielle de leur métier : la transmission, fer de lance du projet défendu par le Campus Versailles. Pour beaucoup, ce savoir-faire, hérité sur plusieurs générations, est un véritable patrimoine qu’ils ont à cœur de préserver et de transmettre. C’est le cas de Thierry, forgeron depuis 23 ans et enseignant auprès d’élèves et d’apprentis. Sur fond de bruits d’enclume et de vapeur de fumée, le forgeron réalise une petite feuille de métal sous le regard ébloui de Sacha, 6 ans. “J’ai 23 ans de métier et j’apprends encore”, raconte-t-il aux visiteurs absorbés. “J’ai 70 élèves qui viennent frapper à ma porte chaque année mais je ne peux pas prendre tout le monde. Il y a du travail dans ce secteur mais il faut mettre les moyens pour former ces jeunes.” À une époque où l’automatisation domine, ces gardiens de l’excellence nous rappellent l’importance de former la relève afin que ces techniques d’exception soient préservées.
Et quoi de mieux que susciter des vocations dès le plus jeune âge. Direction l’étage où nous découvrons un atelier de taille de pierre réservé aux enfants ! En montant les escaliers, nous rencontrons un jeune couple accompagné de ses deux enfants : “Nous ne connaissions pas le Campus Versailles mais nous aimons beaucoup les Journées du Patrimoine. C’est une belle occasion de faire découvrir aux enfants des savoir-faire méconnus”. A l’étage, le bruit de la massette se fait entendre de loin. En arrivant dans la salle, c’est un nuage de poussière qui nous accueille ! Dans un joyeux vacarme, plusieurs enfants s’échinent à sculpter de gros blocs de pierre sous la surveillance de Maxime, chef d’équipe des tailleurs de pierre pour l’entreprise h.chevalier.
Parmi eux, Alice, 5 ans, sculpte un bloc sous le regard admiratif de sa maman. “Je trouve cet atelier formidable pour les enfants. On réalise mieux que derrière chaque pierre sculptée de notre patrimoine, il y a un homme ou une femme qui y a mis toute sa science et toute son âme”. A ses côtés, Céline, 42 ans, évoque son regret de n’avoir pas été initié aux métiers de l’artisanat. “A mon époque, on se posait moins la question qu’aujourd’hui. Si j’avais dû choisir, je me serais orientée vers le vitrail”, confie-t-elle avec nostalgie.
Un dernier coup d’œil sur cette ambiance joyeuse et familiale et nous voici conduit dans le calme d’une grande pièce où se déploient selles et objets de maroquinerie. Derrière son stand, Mathilde Costeux s’affaire à marquer les points de couture d’une future selle. Cette jeune artisane, qui a quitté le monde universitaire pour épouser l’univers équestre, s’est orientée vers un métier peu connu : celui de sellier-harnacheur. Formée en 2021 et aujourd’hui dirigeante de sa propre entreprise au sein de l’atelier du Haras national du Pin, elle témoigne de sa fierté de pouvoir offrir des selles d’équitation entièrement sur-mesure. Art d’une grande noblesse où la précision du geste est maître, la sellerie permet de réaliser des créations incroyables comme cette selle ailée imaginée pour la Maison Hermès par Leïla Menchari en 2005 et exposée à titre exceptionnel pour les Journées du Patrimoine.
En quittant la Grande Écurie, les visiteurs repartent convaincus de l’importance de préserver ces métiers d’excellence et de les transmettre à la jeune génération. Après trois ans d’existence, le Campus Versailles s’y attache en offrant des formations variées et en faisant collaborer les meilleurs artisans de France. Un dernier regard sur l’écurie du roi, et c’est le visage enthousiaste de Paul, 13 ans, qui nous revient en mémoire. Rencontré à la taille de pierre, il incarne cet espoir : que de ces petites mains encore malhabiles émergeront, peut-être demain, les doigts experts de nos futurs artisans.
Caroline Becker
Photos : © Caroline Dauger